2015 • uzès

Appris d'habitants

L'histoire commence ainsi.
Nous sommes au printemps 2015 et nous décidons de lancer un appel à participation dans la presse locale :


 

C'est, il faut le souligner, une des composantes importantes de la démarche artistique : nous nous sentons forts d'une expérience quant à la question mémorielle des monuments aux morts, mais nous choisissons, grâce à mon nom des habitants, de remettre en jeu systématiquement cette expérience dans chaque nouveau contexte.
Chaque commune, chaque habitant, sont une ressource en qui nous portons confiance et curiosité. Car chaque commune, chaque habitant, apportent la possibilité de réinventer des manières de travailler cette question mémorielle qui nous est commune.

Nous aurions pu, comme à La Grand Combe l'automne dernier, convoquer un groupe constitué. Mais nous préférons, à Uzès, cette méthode participative volontaire. Nous connaissons la pudeur lorsqu'il s'agit de partager une démarche d'art contemporain expérimentale, mais nous aimons ce risque. En fait, ce risque rend équivalents : ni les habitants qui vont venir se renseigner et/ou participer, ni nous, ne savons ce que nous allons construire ensemble. Cela nous importe.

Au mois de mars donc, l'appel à participation.
Au mois de juin, le Festival Uzès danse.
Ce sont les deux seules dates choisies comme cadre d'expérience.
Entre ces deux balises temporelles, trois, puis quatre, et jusqu'à sept personnes vont constituer un groupe qui s'est mis au travail et au partage. Nous nous sommes vus régulièrement pendant un mois et demi. Certains soirs de semaine, un dimanche après-midi, quand tout le monde était disponible. Ou bien lors de rendez-vous plus personnalisés, parce que le temps, parce que le sujet, parce que la fabrication à aboutir, le permettaient.

Nous avons arpenté la ville ensemble, nous avons partagé des souvenirs sensibles, civiques, intimes, nous avons filmé des expériences chorégraphiques, nous avons fait des enquêtes photographiques à plusieurs... Nous avons inventé. Petit à petit. Sans trop présumer de ce qui allait être montré ou non pendant le Festival début juin. Nous apprenions des uns des autres.

Par exemple, peu de nous savait qu'il existait un carré militaire dans le cimetière catholique d'Uzès :



Ou encore, peu de nous était sensible aux craquelures d'un mur de la rue des Capucins :



C'est ce que l'on appelle une documentation. Une photo, un souvenir raconté, une vidéo impromptue ou très organisée... s'additionnent au fur et à mesure que notre rencontre s'émancipe. Nous mémorisons, des implicites apparaissent, la confiance accélère. La collecte qui se crée devient tout à coup un matériau vivant et non plus les seules traces de nos expériences communes. Ce matériau fait alors écho à d'autres expériences passées, à d'autres référents, il rejoint, il irrigue. Nous sommes en état de création.

Lorsqu'un tel matériau devient dorénavant premier, évident par devant nous, il ne reste plus qu'à l'organiser pour le rendre public. C'est une démarche d'art contemporain expérimentale : la responsabilité, pour nous artistes, de trouver la forme adéquate pour adresser à d'autres habitants-visiteurs-spectateurs tout ce que nous ne savions pas, tout ce que nous n'avions pas prévu, et qui est pourtant devenu la matière même à partager.

Durant le Festival Uzès danse, mon nom des habitants a été présent sous deux formes publiques.
Une exposition, à la Galerie des Capucins, pour laquelle les artistes Cédric Torne, Thomas Bernardet et Laurent Pichaud ont mis en scène différentes vidéos créées avec les habitants à Uzès ou témoignant de la démarche artistique du projet en général.
Et, deux fois par jour, sur la même période, une conférence spectaculaire, dans les rues environnantes de la galerie des Capucins, s'est écrite à partir de la documentation et des expériences accumulées durant le printemps.

Deux exemples :








À partir d'une telle expérience humaine et des temps de partage public qui en ont découlé, mon nom des habitants continue de s'épanouir. Car ce que nous avons construit à Uzès a stimulé d'autres questions. Ou des réactions. C'est un processus : l'inconnu ouvert ici attire de nouvelles pistes à prolonger ailleurs.

Par exemple, peu de nous savait que le coq doré surplombant le monument aux morts d'Uzès a été changé d'orientation. Auparavant il faisait front nord-est en direction de l'Allemagne vaincue. Mais depuis que la ville d'Uzès s'est jumelée avec la ville allemande de Schriesheim, la municipalité a choisi symboliquement d'apaiser cet affront.

Par exemple, personne de nous savait que nous allions retourner au collège Léo Larguier de la Grand Combe au printemps 2016 pour travailler cette question des villes jumelées.

Nous continuons d'apprendre.